Missak Manouchian: Les couturières
Dédié aux couturières de Paris
Elles sont là, devant la machine à coudre
Au premier rayon du soleil
Et coudront jusqu’à la nuit sans relâche,
S’abreuvant de jour jusqu’à tomber de sommeil.
La commande presse,le travail exige du soin,
Il le faut, sinon, c’est le chômage demain
Qui met à la merci de la misère
Dont le spectre est toujours là, montrant ses crocs.
Ainsi besognent-elles pour un patron
Qui les exploite sans pitié.
Révoltée ou soumise, la couturière
Chaque jour pose en tremblant son coeur sur son pain.
Elles sont les prisonnières malheureuses
De la fortune des grandes villes luxueuses
Et leur vie goutte à goutte s’écoule
Dans la coupe de la richesse et des orgies.
Voici les vieilles sans secours dont les mains sèchent,
Les veuves lasses qui ont tout perdu dans la vie,
Les jeunes filles adorables aux rêves sans mesure,
Qui sans se plaindre, engloutissent leur vie dans la misère.
Le travail sacré s’est changé en monstre.
On s’épuise à vouloir lui échapper
Mais sa griffe est puissante, elle asservit
Lentemant les âmes les plus nobles.
Lorque je vois cette lumière dans vos yeux
Qui s’éteint peu à peu pour un morceau de pain,
O mes soeurs, j’ai le coeur qui saigne, je voudrais
De votre épaule ôter le fardeau de la vie.
Et je serre les dents, et je serre les poings,
Haine et vengeance au fond du coeur...
Versez en moi votre souffrance, pour ranimer la flamme
Sacrée, de la lutte contre l’exploitation.
Missak Manouchian 1924
Revue "EUROPE" Littérature arménienne" fév.mars 1961, PARIS